Otavalo, jour 4

La nuit fut bonne malgré l’impression d’avoir dormi sous une toile de tente avec le vent qui s’engouffrait sous les tuiles à vif. Dehors, les animaux fanfaronnent. Jus de tomate d’arbre pour le petit-déjeuner. On est comme bercés par les conversations en Kichwa de la famille, l’impression d’être à la maison alors que chaque chose dans ses moindres détails est tout à fait différente. Victor est assis dehors, et patiente pendant que sa mère et sa soeur finissent de lui tresser ses cheveux. C’est le moment de faire ses adieux à la communauté. Leur sens de l’humour et leurs sourires francs resteront marqués dans ma mémoire comme un onguent qui réchauffe le coeur.

Arrivée à Otavalo, le soleil tape sur les tuiles rouges de la bâtisse coloniale qui nous accueille. La ville fourmille et surprend par sa multitude d’échoppes qui débordent jusque sur les trottoirs. Au marché, on goûte des jus exotiques si sucrés qu’ils paraissent artificiels et aussi une gelée tiède d’aloe vera qui allume les entrailles. L’odeur verte de la peau des fruits, la fraîcheur de la chair du fruit du dragon, sorte de pastèque blanche au goût de poire. Les chiens rôdent entre les étals avec un oeil coquin et triste. Soupe chaude d’avocat à laquelle on aurait préféré ne jamais goûter tant elle est douce.

Plus tard, le taxi grimpe les ruelles pavées qui s’étendent à la verticale vers les sommets de la ville. Les montagnes à perte de vue et les nuages noirs qui s’y accrochent avec jalousie. Le soleil tombe et chacun rentre son bétail pour la nuit. La vache boude son dernier moment de liberté accrochée à un réverbère et une demi-douzaine de porcelets grouine dans le champ de maïs voisin qui n’en sera plus un très longtemps. La nuit se lève et les yeux des chiens errants s’allument d’une lueur jaune. Les marchands ont déserté les places, laissant la ville telle un squelette vide, où les papiers de bonbons jouent aux broussailles western. Dehors les automobilistes sont rois et se faufilent pour dévorer les passages piétons.