Jérusalem, jour 8

Bus pour Jérusalem au milieu des tours de guet et des vignes à la terre sèche. Au checkpoint que les israéliens préfèrent appeler “terminal”, les locaux descendent du bus pour le contrôle de leurs papiers tandis que les touristes ont le droit de rester assis. Le militaire agrippe ostensiblement son fusil mitrailleur en montant dans le bus, le pointe imperceptiblement vers le chauffeur. Les seuls mots hébreux que Majdi connaît sont “papiers SVP”, “les mains contre le mur”, “écartez les jambes”, il en parle comme les mots qui pourraient lui sauver la vie. Le chauffeur démarre à pleine balle et reprend sa conduite déliée qui ressemble plus à une danse chaloupée.

En rentrant par la porte de Damas qu’on a quittée quelques jours plus tôt, on sent l’odeur des montagnes de fraises avant de les voir. Odeur fraîche et sucrée qui raconte l’eau et la mousse couverte de rosée. Sur le marché aux jouets, les poupées se mélangent aux tanks et aux kalachnikovs en plastique bariolé. Partout, des monticules de bonbons soigneusement rangés brillent sous la lumière des néons. L’odeur mouillée du café moulu, en boire un ici est souvent une épreuve dont on ne ressort pas indemne tant il peut être épicé.

Il existait auparavant sept cinémas dans la vieille ville de Jérusalem, il n’y en a aujourd’hui plus aucun. La réalité a résolument pris de court la fiction. Où que ce soit dans le dédale des ruelles étroites, le regard se pose toujours sur un chat, tantôt chasseur, tantôt chassé. Dans l’église du Saint-Sépulcre construite sur le lieu de crucifixion du Christ, ça sent l’encens, le savon, la sueur et la cire. Dehors, les gros chapelets ressemblent à s’y méprendre à des bonbons acidulés.
On monte au coucher du jour sur le mont des oliviers où la lumière chaude et rasante fait rougir peu à peu leurs feuilles d’argent. “Qui contrôle Jérusalem contrôle le monde” se dit-on à demi- mot devant le panorama de cette ville millénaire qui abrite le berceau du monde et de toute sa formidable diversité. Des nuées d’oiseaux noirs flottent au-dessus des pierres tombales qui recouvrent la colline. Dans la lumière crépusculaire soudain violacée, deux garçons remontent la route au grand galop à cru sur leurs chevaux, au milieu des voitures qui les klaxonnent. Le tonnerre de leurs sabots gronde sur le bitume puis s’éteint progressivement dans la clameur naissante de la ville.

Ce soir, les garçons boivent à s’en rendre profondément malades, peut-être pour fêter l’une de leurs rares occasions, si ce n’est la première, de pouvoir danser avec des filles, sans penser au lendemain ni à la réalité qui les tient pour prisonniers.