Hébron, jour 5

J’écris ce qui suit à la lueur d’une bougie, coupure d’électricité oblige. Douche froide ce matin. Les aléas de la vie d’ici, on ne sait juste jamais lorsque ça va tomber. Israël contrôle aussi bien l’accès à l’eau qu’à l’électricité. C’est l’inquiétude d’Abdallah tous les matins : “Y’aura-t-il de l’eau aujourd’hui ?”.

Des grilles recouvrent le ciel du marché d’Hébron pour protéger les derniers commerçants des jets de pierres et de détritus des colons vivant aux étages supérieurs. Les mêmes détritus qu’on passe la matinée à ramasser au milieu des oliviers centenaires sur la colline surplombant la ville, qui disparaît peu à peu sous un ciel jaune puis noir. Les colons font tout pour décourager les derniers habitants en leur faisant vivre un enfer et en dégradant autant que possible leur environnement. La guerre des olives. Un âne paît au milieu des décombres dans la décharge sauvage. Les véhicules palestiniens n’ayant pas le droit de circuler dans H2, la collecte de leurs déchets relève de la croisade politique.

On entend constamment le bourdonnement des réacteurs d’avions de chasse restant invisibles au-dessus de nos têtes, sorte de bande-son terrible qui ne se fait jamais oublier. Seuls les oliviers semblent vraiment sereins dans ce paysage désolé. Leurs feuilles ondulent imperceptiblement dans un scintillement cristallin. On réalise soudain avec une impuissance cataclysmique l’importance et surtout l’impact de l’éducation lorsque les enfants de colons empêchent Issa de finir son discours en tapant de toutes leurs forces sur une plaque en métal à l’écho assourdissant. Peur de rien. “Menteur”, ils sifflent sur un ton de défi. Enfance sous influence dont on ne sort jamais vraiment, l’enfermement de l’esprit à ciel ouvert. Un petit garçon à la gueule d’ange joue avec son ballon de notre côté du grillage et j’ai une profonde envie de le serrer dans mes bras et de lui dire que tout ira bien. Peut-être pour m’en convaincre moi-même. L’innocence brille encore dans le fond de ses yeux et luit dans les reflets de ses cheveux et dans la roseur de ses joues.

On rapporte du bois jusqu’à la maison quand un type en gilet blanc et fusil d’assaut se met à monter et descendre la colline avec agitation, puis sort son téléphone portable. Signal d’alerte qu’il faut immédiatement partir. L’intimidation grossière puis le passage à l’action, piqûre immobile et cinglante. Il va bientôt pleuvoir. Un dernier adieu au petit garçon sans adresser un regard au militaire en faction à quelques pas de chez lui pour protéger la maison voisine nuit et jour. On redescend de la garrigue, on traverse le checkpoint à sens inverse, retour à la vie, la valse, les klaxons, tout paraîtrait presque normal.