Bethléem, jour 4

L’impression d’être dans un cauchemar dont on ne peut pas se réveiller, même si la réalité dépasse l’imagination. L’église de la Nativité paraît profondément ironique au regard du contexte dans lequel elle siège désormais. Des centaines de pèlerins font la queue pour voir la niche où serait né Jésus, à quelques centaines de mètres de là, d’autres font la queue pour voir le mur de séparation, bien réel quant à lui. Un enfant se trémousse devant une rangée de Pères Noël robotiques. Un autre tague la frontière qui le sépare de sa terre et de ses frères avant de tacher le pare-chocs de la voiture de son père. La quantité d’informations et de dissonances cognitives rend la réalité difficile à digérer, sentiment d’étrangeté permanent.

Quinze heures, le soleil se couche peu à peu et finit par disparaître derrière le mur et les barbelés. En marchant dans cette ombre épaisse, la liberté qu’on prend pour acquise s’évapore sans crier gare. Au-delà, c’est le royaume du silence, la terre est nue, inoccupée, seuls les oliviers bruissent paisiblement. Ici, c’est les baraquements temporaires qui ont pris racines au camp Aida, les étages s’empilent au fil des ans pour accueillir la quantité de réfugiés qui ne décroît pas, sans pour autant jamais vraiment dépasser les tours de guet, maîtresses du paysage. Surveillance partout, on sent le poids de ce regard qui nous suit sans répit. Il suffirait d’un rien. Sentiment profond d’insécurité pour les jeunes palestiniens qui nous accompagnent. Existences sur le fil qui dépendent souvent seulement de l’humeur d’un militaire soigneusement barricadé. Et pourtant la générosité, l’envie de vivre et de partager sont ici sans pareilles. Là où la vie est aspirée par un néant silencieux de terre rase et de pneus sourds, d’idéologie aveugle et de haine brûlante, la vie ressurgit d’autant plus fort dans les rires, les chants, les larmes, les étreintes, les cœurs éreintés mais vaillants et toujours animés par l’espoir.

La religion souffre souvent de nombrilisme et c’est l’impression sous-jacente ce soir à la veillée de Noël, à quelques enjambées d’un drame quotidien qui en est le fruit d’une certaine manière. Chacun voit midi à sa porte et les fenêtres finissent par disparaître derrière des grilles et des clés, des rideaux à jamais fermés. Sur la place et ailleurs, Khaled garde sa grenouille en peluche serrée contre son cou, une bouée infime face à l’adversité.