Hébron, jour 3

Par où commencer pour parler de cette journée. Les dédales de la ville d’Hébron s’offrent à nous sous un soleil blanc. Passage du checkpoint qui sépare H1, partie palestinienne de la ville de H2, colonie israélienne où vivent encore quelques familles palestiniennes dont les fenêtres sont barricadées par des grilles pour se protéger des jets de pierre visant à les faire fuir, les asphyxier lentement. Abdallah s’arrête à une frontière invisible, en tant qu’arabe, il ne peut pas aller plus loin. Les gamins en service militaire déboulent de nulle part, se matérialisant comme s’ils étaient les personnages d’un jeu vidéo dans un décor défiguré par la guerre. Tous ont à peine vingt ans. Le conflit qu’ils rejouent a plus de trois fois leur âge. Frisson sourd en les croisant, ils s’amusent à réajuster leurs fusils mitrailleurs pour nous faire baisser les yeux. L’ancien marché n’est plus qu’une carcasse vidée de ses entrailles. Une petite fille aux couettes attachées par des pompons roses passe la grille du checkpoint en sautillant, cartable sur les épaules. Scène anodine au contraste fulgurant. Les enfants palestiniens habitant encore dans H2 doivent passer ces frontières militaires tous les jours pour se rendre à l’école dans H1.

La réalité est impossible à croire, et pourtant elle se déroule sous nos yeux. Une partie de la ville est petit à petit vidée voire rasée pour y installer des habitations illégales pour les colons israéliens, recommandés et subventionnés pour y vivre et participer de façon active et exclusive à l’expansion de la colonie. Depuis les toits, on peut distinguer les habitations palestiniennes à l’amoncellement de bidons d’eau pour pallier les coupures, les colons étant eux alimentés par des circuits différents fonctionnant sans interruption. En Palestine, l’eau est israélienne ou n’est pas.

Plus tard, on croise un jeune mec en jean moulant délavé qui se pavane de long en large sur la route de terre battue. Une kalachnikov se balance nonchalamment sur sa hanche, il l’empoigne parfois, le regard fixe. Une espèce de défilé de mode qui glace le sang. En quatre ans, 39 palestiniens de 15 à 49 ans sont morts sur cette route de H2 maintenant dénommée “Rue de la Mort”. Plus tôt dans la journée, un guide comme Abdallah s’est fait prendre à parti puis passer à tabac pour avoir montré les cartes de la ville illustrant les frontières forcées. Raison pour laquelle Abdallah nous montrera ces cartes à l’intérieur de la boutique de Mounir, un des derniers commerçants palestiniens encore ouvert dans cette zone, une petite victoire qu’il doit pourtant à près de 18 mois de négociations. La rue où il officie était encore il y a peu séparée par un muret pour délimiter le passage entre les piétons israéliens et palestiniens. Dans H2, l’armée ne peut intervenir que si un palestinien attaque un israélien et non l’inverse. Dans le cas où ce dernier serait blessé sur ce territoire, il faudrait compter jusqu’à trois heures pour que l’ambulance palestinienne puisse arriver jusqu’à lui en ayant obtenu les permis nécessaires. Avant de rentrer dans la “demi-synagogue” érigée dans l’ancienne mosquée à l’emplacement du tombeau des patriarches, on nous demande de confirmer que personne n’est musulman. À chaque checkpoint, ce sont Ahmad, Khaled, Zaïd qui sont contrôlés. Des petits garçons jouent au football sous le nez des militaires. En tant qu’étrangers, on a des privilèges que même les locaux n’ont plus ou jamais eus. On traverse des décors de guerre, de terre à vif et de ruines, de rues où les arabes et les musulmans n’ont pas le droit de conduire ni même parfois de marcher. Des véhicules blindés quadrillent le secteur à toute allure. Sous la couche de poussière, le distributeur propose toujours des paquets de chips aux noms hébreux et aux couleurs criardes.