Baños, jour 8

La route s’étend à perte de vue au milieu d’un désert de pierre et de sable. Au loin, le tronc gargantuesque de Chimborazo, plus grand sommet d’Equateur (6300 m), dévore le paysage sans feindre son appétit. Sa pointe à deux têtes est coiffée d’une vague perpétuelle de nuages à la blancheur phosphorescente. Les vigognes qui paissent en bandes au bord de la route ont une physionomie famélique qui semble venue d’ailleurs. Un vent à décorner une colonie de boeufs fait rage à l’extérieur de la voiture qui elle-même oscille avec ses sept passagers. Malgré sa ferveur, il ne nous empêchera pas de monter jusqu’à 5100 m après un thé à la coca au refuge. On fait un chant de remerciements à la montagne en Kichwa, moment de transe à répéter des sons que l’on ne comprend pas mais dont le sens nous traverse profondément pourtant. La montagne se met à souffler d’autant plus fort comme pour nous faire comprendre qu’il faudra s’y reprendre à un autre jour si on veut qu’elle accepte de se dévoiler davantage. La joie est immense d’être arrivé jusque là, on deviendrait presque accros à cette décharge de dopamine et à ce retour à l’oxygène qui fait bouillir la tête. Les possibilités du corps sont infinies pour peu qu’on ose les saisir et qu’on le lui rende bien.

Arrivée à la porte de l’Amazonie ce soir, Baños qui luit d’elle-même dans l’ombre du volcan Tungurahua, toujours actif. La ville est encerclée de montagnes à la végétation luxuriante qu’on ne perd jamais de vue. Néons criards, couleurs pimpantes, odeurs suaves et musique partout, on est bien arrivés au temple du tourisme. Tout a un charme fou, y compris l’église en roche volcanique, dont la noirceur contraste avec le bruit visuel ambiant.

Une longue et fine cascade glisse depuis les hauteurs jusque dans les bains publics de la ville. À la nuit tombée, les papillons de nuit volent fébrilement sous les projecteurs qui illuminent les baigneurs, tous arborant des bonnets de bain multicolores. Semblable à une ruche aquatique, le folklore local y est à son comble et tout semble sorti d’un rêve Wes Andersonesque. Cabines de vestiaires couleur pastel à l’odeur néanmoins douteuse, dame des cases en plastique à l’air revêche, messieurs en microslip et mesdames en maillot à fleur. On est pourtant tous égaux avec nos semi-cagoules ridicules. Tourbillon de couleurs et de clameurs au milieu des vapeurs d’eau thermale. Expérience incroyable et inoubliable. La brume des bains brûlants s’échappe vers le ciel où le croissant de lune semble sourire devant le spectacle qui s’offre à elle.