Ittoqqortoormiit, jour 27

Ce matin, les nuages forment une lucarne horizontale sur les montagnes qui s'étendent au large de la baie. Au supermarché, on achète des fleurs en plastique tandis que j'achète un paquet de marshmallows pour le même prix. Au lieu d'acheter des chaussures, beaucoup trop chères bien qu'un beau souvenir. 

Aujourd'hui, on enterre un ancien habitant du village pendant longtemps exilé au Danemark. Sa terre de coeur pour dernière demeure. Les bouquets multicolores défilent sur le tapis roulant. Il serait vain d'espérer des fleurs fraîches. Tribut éternel. Les quads s'entassent derrière l'église tandis que le pick-up béant attend patiemment devant l'entrée. Les chants s'échappent dans l'air aquatique et piquant. Tout le village se presse chargé de bouquets en plastiques de tailles et formes diverses. Bleus de travail qui battent les graviers, cigarette à la main et qui ressortent aussitôt après avoir déposé leur reconnaissance.

Monica n'est pas allée à l'école aujourd'hui. Elle s'est rendue au cimetière dans sa doudoune rose avec sa mère. Maluna slalome entre les croix pour venir se serrer contre moi. Moment touchant qui suspend le temps. Soudain je me dis que j'ai bien fait de venir. Ma place était là, à serrer cette petite fille contre moi. Juste être là. Dans ce moment. Une empreinte qui se maintiendra après mon départ peut-être. Les enfants jouent à sauter entre les tombes encore vierges. Les adultes recouvrent peu à peu le cercueil de terre grumeleuse en prenant soin de ne pas enfouir les fleurs. Le cadre en bois reste apparent et témoigne encore une fois du caractère unique de cet endroit. 

La fumée de la décharge continue d'embaumer la colline voisine. Les costumes blancs traditionnels échangent des poignées de main chaleureuses. Le rassemblement finit par se disperser et chacun redescend vers le village par la petite route en gravier, les enfants debout à l'arrière des pick-ups et les adultes à pied.

Ce soir, une percée en fusion dessine l'horizon au dessus de la mer grise. Entre les mers grises. Vision divine et apocalyptique. Au loin, le phare d'un cargo brille comme une météorite. Plus tard, le vent du nord toujours solaire vient dévoiler toutes entières les montagnes plus grandioses que jamais. Le vent est présence ici. Le bleu nuit prend tout son sens.