Ittoqqortoormiit, jour 18

Les carabines plantées dans le sable et sur le dos des adolescents. On a fait un feu sur la plage et coupé des fruits, cadeaux des dieux. Le goût est indescriptible. L'air a le goût d'eau de mer. Toutes les extrémités cessent de vivre et le coeur gèle lentement. La température avoisine zéro. 

La barrière de la langue réduit les ambitions. Sentiment immense de frustration de n'être que des babysitters, des entertainers pour ces enfants. Difficile de croire qu'il restera quelque chose de notre passage. C'est une bulle ici, un rêve, comme si la vie n'y existait que pendant ces quatre semaines. Impossible de croire que ce qui s'y passe aie un lien avec le reste de l'ordre du monde. Autoréférentiel. Pensée nombriliste mais pas simple de lutter contre tant le temps, les choses et la vie sont sans comparaison ici. 

Les nuages sont à hauteur d'eau ce soir, balayés par le vent dans des trainées infinies. Le supermarché est redevenu le havre de rêve qu'il est censé être.

Passé un certain âge, la douceur s'efface de la plupart des visages et laisse place à un mur impénétrable. Gravité sans mesure. L'épreuve de la vie d'ici laisse une marque qui impressionne les nouveaux venus et les tièdes vivants. Mais le sourire rare qui perce à travers l'orage est sincère.

Les jeux sur la plage sont interrompus par la détonation acide d'une balle qui traverse l'air glacial. Mon sang se glace et celui du phoque qui patauge à quelques mètres aussi. Il part se dissimuler entre les icebergs un peu plus en retrait et les enfants reprennent leur farandole. Toujours cette oscillation du sublime, entre les rires des enfants et le sifflement de la mort qui persiste dans les tympans. Vie polaire bipolaire.